La danza della tigre
Articles de presse
Au Rockstore on danse avec les tigres
" J'avais envie d'explorer tout ce qui est beau et cruel. Beau et violent à la fois. Comme cette danse du tigre qui captive l'attention des éléphants et permet à la femelle d'attraper les éléphanteaux. Le tigre est un animal prédateur. C'est son instinct qui le pousse. Il n'y a pas de morale dans cette histoire ". Rita Cioffi, chorégraphe italienne installée à Montpellier depuis plus de dix ans, ancienne danseuse de la compagne Bagouet, interprète la danza della tigre, au Rockstore, ce jeudi 16 janvier et jusqu'au samedi 18. Avec Catherine Béziex et Léa Coulanges. Un travail sur la séduction, sur la situation des femmes toujours en lutte pour s'affirmer, sur la notion de territoire qui l'amène à parler de l'immigration, sur les minorités… " En se servant du tigre, on parle de l'être humain et ses incroyables excès, explique Rita Cioffi. Le tigre est un grand stratège, très rusé. On ne le sent jamais arriver. " Pour cette création, la chorégraphe a passé plus d'un an de recherche sur l'animal asiatique : elle est incollable sur le tigre. Dans son spectacle, en plusieurs tableaux, elle a inséré quelques textes, dont un assez drôle, Trois ; tentatives pour réintroduire le tigre en Lot-et-Garonne d'Éric Chevillard. Plusieurs tableaux pour donner des images différentes de la danse : " A chaque fois, on essaie de séduire autrement ". Le choix du Rockstore n'est pas innocent : " on chasse sur un autre territoire : j'aime bien aller danser ailleurs que dans les théâtres pour permettre à d'autres de découvrir la danse. ". Au Rockstore, Rita Cioffi, Léa Coulanges et Catherine Beziex danseront sur la scène mais aussi sur le bar et dans la salle. Rita Cioffi est une vraie tigresse.
Ghislaine Arba-Laffont La Gazette de Montpellier 16/01/03
Danse contemporaine au Rockstore
LA DANSE DU TIGRE
Encore deux soirées pour apprécier la chorégraphie de Rita Cioffi inspirée par une danse de séduction… à fins meurtrières
Il y a une chose au moins sur laquelle tous les amateurs de danse contemporaine sont d'accord : Rita Cioffi est une danseuse magnifique ! A un point tel qu'on peut considérer qu'elle était " soliste " quand elle participait à la Compagnie Dominique Bagouet. Vu le niveau des danseurs de cette époque, ce n'est pas un mince compliment.
Comme chorégraphe, activité qu'elle mène depuis 1997, Rita fait moins l'unanimité. Mais avant d'évoquer son style, passons à l'essentiel. Elle propose au Rockstore, depuis hier et jusqu'à samedi, une pièce chorégraphique nommée "la danza dalla tigre ". La pièce est pour deux danseuses (quadragénaire, c'est à noter), une actrice et un musicien.
LEURRE
Une idée est à la base de la pièce :le masque. Au sens de l'illusion, du travestissement des corps qui autorisent de noirs desseins (d'où le tigre et ses rayures le camouflant. Remarquez aussi qu'en italien, langue maternelle de Rita, le tigre est du féminin même le mâle !). Et tout tourne autour de ça : les luttes meurtrières des deux danseuses qui se transmutent en complicité joueuse. Les reportages vidéos (oui, oui, dans une chorégraphie, des reportages, vous avez bien lu ! ) qui parlent du travestissement sexuel et de la prostitution (avec des moments magnifiques ! ). La musique elle-même est masquée. Est-ce une musique originale, une reprise, une moquerie ?
ENCHAÎNEMENT
La pièce est très dynamique, ses petites parties s'enchaînent sans heurts, tout en nous larguant dans des espaces et des idées qui semblent n'avoir ni queue ni tête. Le tout donnant l'impression de brièveté ( la pièce dure pourtant une heure et deux minutes ). Et laissant une sensation indéfinissable qu'on pourrait résumer par l'expression : c'est très touchant !
RELIGION
Pour nous qui sommes fans du travail de Rita Cioffi depuis des années, son faible succès public reste un mystère. Encore qu'il y ait au moins une explication. Elle ne fait pas de la danse contemporaine comme tout le monde. Déjà en ce sens qu'elle place toujours sa danse dans des endroits bizarres. Elle a ainsi dansé dans les tonneaux de la cave coopérative, sous les voûtes gelées de la salle Saint Ravy, ou encore dans de salles annexes de théâtre. Sa danse en a fait un caractère religieux, très à l'aise dans des espaces anciens, confinés et obscurs, dans la communion avec le public. Et dans le tragique et l'angoisse du futur. Tous ces points sont nettement accentués dans " la danza della tigre ". Malgré le dynamisme, la joie qui éclate dans le rire des danseuses, l'humour du texte traite de l'élevage des tigres en bas Périgord (en gros ), on sent une mélancolie diffuse. Et cet esprit assez noir qui nous séduit peut expliquer que d'autres n'apprécient pas. On peut aussi penser à d'autres explications. L'art de Rita a quelque chose de têtu, à l'écart des modes. Par exemple en se désintéressant de certaines normes physiques quant au choix des danseuses. Pour elle, ce qui compte chez l'interprète, c'est l'adhésion au projet et la totale relation de confiance vis à vis du public. Ce qui revient à dire que son expression artistique est dans le mode du don de l'artiste plus que dans la construction de sa personnalité. Son art peut se comprendre comme un message immédiat, l'expression d'une idée. Elle ne creuse pas, chorégraphie après chorégraphie un univers complexe d'ordre graphique. Non, elle interpelle ! Ce coup-ci c'est de l'hypocrisie généralisée de notre société qu'elle nous parle. Et c'est, une fois de plus pas mal du tout. Donc : conseillé.
Jean-Marc Douillard, L'Hérault du Jour ,17/01/03
Articles de presse
LA DANZA DELLA TIGRE : SUR LES TERRES DE LA FELINE
Rita Cioffi livre avec alacrité quelques clés de sa toute nouvelle création
La création est souvent affaire d'émotion. La danza della tigre, que la chorégraphie Rita Cioffi présente de jeudi à samedi, n'est pas née d'autre chose.
Une lecture anodine et blam, le choc. Un roman écrit par un paléontologue finlandais. La danse du tigre. La chorégraphe italienne, installée depuis plus de dix ans à Montpellier, est subjuguée par la description que l'auteur donne de cette danse macabre. " Le tigre mâle danse pour captiver l'attention d'un troupeau d'éléphants et tandis que ceux-ci s'abîment dans la fascination, la femelle peut tranquillement capturer et dévorer les éléphanteaux laissés sans surveillance. "
Beauté et cruauté. Grâce et violence. Séduction et prédation. Cette saisissante vision se grave dans la tripe de l'ancienne danseuse de Dominique Bagouet. Mais il est alors " trop tôt " pour qu'elle se collette avec le mythe félin. " Apres quelques années, j'ai senti que j'avais l'énergie tigresque nécessaire pour faire quelque chose de vraiment personnel, explique Rita Cioffi. C'était devenu très intime, aussi j'ai souhaité ouvrir mon projet à d'autres regards, ceux de Catherine Beziex et Léa Coulanges, pour lui donner une dimension plus universelle, parvenir à quelque chose de plus juste, ou du moins plus partageable.
Le trio se documente avec l'application de thésards et devient incollable sur le félin asiatique, sa psyché. " Le tigre est maître d'un territoire à la surface très précise. Quand il en a épuisé toutes les ressources, il part à la conquête d'un nouveau, note doctement Rita Cioffi. Le parallèle avec l'homme et l'artiste, est limpide : pousse par sa faim de création, l'artiste doit lutter, séduire, convaincre et parfois imposer dans une forme d'agression son territoire... " La chorégraphe envisage un temps d'intégrer un texte de Dario Fo sur le tigre mais le texte est trop entier, " trop beau ", pour ne pas se suffire à lui-même. Elle garde toutefois l'idée de l'homme se déguisant en tigre pour en avoir la force, une certaine idée de la comédie. Outre le mouvement chorégraphique naturellement empreint de " la sensualité, l'énergie, l'agressivité aussi, du tigre ", semble-t-il envisagées sous divers angles et en diverse situation, les tableaux du spectacle intègrent ainsi plusieurs temps de parole. S'y ajoute un usage détonnant de la vidéo.
" dans ces film, on retrouve ma jungle à moi, Rome, cette jungle d'asphalte qui a contribué à forger à ma personnalité, souligne l'affable italienne. Le fait que le tigre soit un animal nocturne, rusé et solitaire m'a donné envie d'aller à la rencontre des romains qui évoluent dans ce registre : les transsexuels. " Egalement comme le tigre, ils procèdent d'une certaine façon à une migration d'un territoire épuisé vers un autre plus propice à leur épanouissement, à la différence prés que ce territoire est leur propre corps... Rita Cioffi se défend par contre de tout voyeurisme ou provocation gratuite : " C'est une interrogation sur les rôles que l'on joue, l'ambiguïté que ces jeux impliquent... et cela ne vaut pas que pour les transsexuels que j'ai interrogés avec l'aide de Roberto Savoca et Marco Garzia. "
Autre point important : la musique de la danza della tigre est jouée live aux machines par Luca Spagnoletti, un pionnier de l'électronique. Ce live n'est d'ailleurs pas étranger au choix du Rockstore pour la création de la danza. Mais ce n'est pas la seule raison : " Ce lieu mythique est en empathie avec mon projet. Le rock partage avec le tigre une forme d'agressivité, d'urgence, l'idée de devoir s'imposer. Quant au Rockstore lui-même, il a connu plusieurs migrations, transformations, exploré plusieurs territoires. " Rita Cioffi avoue aussi qu'étant en auto-production, elle n'a pas été insensible à la confiance et la curiosité qu'ont montrées les patrons du Rockstore en acceptant d'accueillir son spectacle.
" Et puis, j'aime l'idée de ne pas attendre le public de la danse mais d'aller au-devant d'autres publics, hors des théâtres, dans de lieux qui sollicitent une autre curiosité vis-à-vis du mouvement chorégraphique. Exciter la circulation des idées, c'est fondamental pour la danse contemporaine. " Rita Cioffi chasse dans un nouveau territoire avec un appétit qui fait plaisir à voir. Un appétit de tigre. On a hâte de se faire bouffer !
Midi libre 14/01/2003
Vu sur scène
" La danza della tigre " : féminine et féline jusqu'au bout des griffes "
En choisissant de présenter sa nouvelle création La danza della tigre au Rockstore, la chorégraphe Rita Cioffi affirmait clairement son ambition d'aller braconner dans d'autres territoires et de quitter la réserve, comme l'on fait naguère quelques indiens à la liberté irréductible. Celle de Rita Cioffi fait plaisir à voir, à ressentir et tout autant à partager.
Le dispositif emprunte au cabaret : un cercle de petites tables autour desquels prend place le public, quelques amuse-gueules (de la viande forcément), un cocktail qui picote, des serveurs en livrée … Dans l'enceinte historique du Rockstore, voilà qui intrigue et assure l'attention nécessaire aux mouvements à venir. Le spectacle félin (et peut être aussi fellinien dans sa jouissive et ludique gourmandise romaine) de Rita Cioffi procède en effet par mouvements successifs. A la manière d'un félin progressant vers sa proie par cercles concentriques, la Danza passe souplement de la parole à la danse, de la danse à l'image sans parole, de l'image au verbe, du verbe au sujet physique, du sujet à l'image reportage… Dans ce tourbillon tigré, émerge un pas de deux à la fascinante félinité : un corps à corps gracieux et sauvage, limpide et chaotique, sensuel et violent.
D'aucuns d'ailleurs auront sans doute été déstabilisés par le fait que le mouvement chorégraphique ne soit pas plus présent dans cette Danza della tigre. Pourtant la danse est bien là, elle est partout, elle se cache dans tous les recoins de ce spectacle. Seulement elle attaque par surprise, comme un félin. On la croit un instant ronronnante, elle vous saisit à la gorge la minute d'après. Etrange sensation que de se faire ainsi dévorer.
Jérémy Bernède, Midi Libre 21/01/03