Passée de Ris et Danceries à Dominique Bagouet avant de voler de ses propres ailes créatrices, personnalité aussi singulière que discrète, Rita Cioffi, chorégraphe associée au Ballet du Nord, a proposé avec Slows une chorégraphie déconcertante autant que séduisante. Pleine de désirs qui ne se disent ni ne se réalisent, de mouvements qui ne s'assument pas, Slows possède le charme étrange de cette cinquième saveur de la cuisine asiatique, l'umami…
Éloge de la fadeur aurait dit le sinologue François Jullien.
Comme son titre le laisse entendre, Slows commence par prendre son temps. Le public est déjà installé, quelques chaises sont dispersées au centre de l'espace, des vêtements traînent un peu. En fond de scène, une petite plateforme sur laquelle on distingue un certain appareillage technique. Cela semble abandonné un peu négligemment, pas du tout une boîte de nuit, pas vraiment une soirée chez des copains, un entre-deux sur lequel plane une insaisissable mélancolie. La lumière est tombée, cela a commencé et rien ne se passe. Puis un mouvement et les interprètes entrent sur le plateau, un à un, avec hésitation, lentement, en restant en périphérie. Une sensation d'attente et de désœuvrement marquée de timidité ; l'une descend plus énergiquement, s'engage avec détermination, presque fébrile. Et s'assoit. Pourtant cette intervention a produit une rupture dans ce climat vaguement neurasthénique. Sans cesser de porter leur torpeur, tous entreprennent de changer de tenue en empruntant celles qui s'offrent à eux, éparses sur les chaises. Quand deux danseurs, face à face, en miroir, commencent à courir en descendant et en remontant, sans objet mais avec une tension forte, ce soudain mouvement tient du séisme dans le climat suspendu qui prévalait.
Et qui revient. Les chaises sont écartées, laissant libre un espace où s'ébauche, pour chacun, un début de gestuelle. Rien de très construit, quoique quelques réponses s'élaborent. Presque un unisson, l'esquisse d'une composition faite d'amorces et de tentatives. Une préparation imperceptible à la danse alors que les essais multipliés de tenues diverses détournaient l'attention. Comme dans une soirée, cette pièce est pleine de faux départs et d'illusion de commencements.
Slow commence en permanence et ses débuts restent suspendus, sans aboutissement. La pièce juxtapose de petites séquences assez structurées pour que l'on puisse y lire les matériaux gestuels, mais tout s'y déroule dans une continuité ouatée qui émousserait l'attention si celle-ci ne s'éveillait en permanence à l'annonce d'un événement qui en définitif n'aboutit pas.